Dans un coin de la taverne, un petit groupe d’aventuriers tuait le temps en jouant à divers jeux d’argent.
Deux hommes lançaient leur couteau sur une porte verrouillée. L’un d’eux n’avait qu’un seul bras & il se moquait joyeusement de son adversaire, un grand blond qui avait encore ses deux bras bien musclés, mais qui était incapable de planter son couteau à moins de vingt centimètres du centre de la cible.
Acceptant mal la défaite, il redemandait sans cesse une revanche, surtout quand une femme le regardait.
Près d’eux, une montagne de muscles tentait vainement d’expliquer à son acolyte les règles de la morra.
Celui-ci, muet, essayait de lui faire comprendre qu’il connaissait bien le jeu, mais qu’il ne pouvait tout simplement pas y jouer.
Mais rien à faire, la brute épaisse était persuadée qu’il refusait de jouer par peur de perdre. Il lui proposa alors diverses formes de jeu pour l’encourager à jouer contre lui, même pour du beurre, mais sans succès.
A une table proche, trois de leurs compagnons avaient l’air plus graves.
_ Est-ce qu’on ne ferait pas mieux d’y aller maintenant ? s’inquiéta une femme brune, plus toute jeune, mais encore bien séduisante. Ils ne viendront pas & encore moins le petit rouquin. Ah ! Il vous les aura bien volé vos cinq pièces d’or !
_ Avec un manchot, une brute épaisse qui pu la vinasse & un muet comme garde rapprochée ? répondit le nain. Je crois que vous n’avez pas bien saisi les dangers qui nous attendent ma p'tite dame. Déjà qu’il est impossible de trouver la moindre monture à un prix abordable, je ne partirai pas sans une protection personnelle pour chacun d’entre nous. Attendons au moins mon ami.
_ Vous voulez dire le gros barbu qui avait du mal à se bouger ? intervint un homme en marinière. Autant me protéger tout seul.
_ Détrompez-vous mon ami ! Personne ne manie mieux la hache que lui ! répliqua le petit homme. Gare à vous s’il s’énerve, c’est un teigneux !
Comme il disait cela, une femme s’approcha subrepticement du groupe. Personne ne l’avait entendu arriver.
La reconnaissant aussitôt, le nain l’accueillie les bras ouverts & lui exposa rapidement la situation.
_ C’est qui celle-là ? interrogea la meneuse du groupe interloquée.
_ Ah ! Oui, pardon, s’excusa le petit homme. J’ai proposé à cette ... redoutable guerrière de se joindre à nous.
_ Vous êtes sûr que c’est pour ses talents au combat que vous l’avez recruté ? répondit d’un air sarcastique son associée tout en dévisageant la nouvelle venue.
Il ne releva pas, mais l’héritière de Von Nabis fut difficile à convaincre. Toutefois, elle se doutait bien que personne ne s’opposerait à sa présence dans la communauté.
Déjà que la présence de la blonde lui portait sur les nerfs, une femme de plus dans la troupe ne l’enthousiasmait pas vraiment.
Mais bon ...
_ Allez, cela a assez duré. On s’en va, finit-elle par décréter exaspérée, joignant le geste à la parole.
Sur le qui-vive, tout le groupe la suivit dans la précipitation.
Une fois tous rassemblés dehors, devant la devanture de la taverne, le nain tenta de gagner du temps en donnant calmement ses consignes.
Le tavernier les y rejoint.
_ Je vous accompagne ! fit-il d’un air à la fois jovial mais aussi inquiet, baluchon sous le bras.
C’en était trop pour la pauvre femme.
Elle qui voulait partir en croisade pour hériter du richissime conte Von Nabis, voilà qu’elle était entourée d’une équipe de bras cassés.
Sentant que la tension montait au sein du groupe, en bon marin qu’il est, l’ancien capitaine de la « Fleur des Astres » ordonna le départ de la troupe sur le champ, sans perdre une seconde.
A peine avaient-ils fait quelques mètres que trois hommes tapis dans l’ombre se postèrent devant eux.
La grosse brute dégaina aussitôt son épée.
_ Hé ! Malheureux ! Tu ne vois pas que ce sont nos amis ? Réfléchit avant d’agir ! s’empressa de préciser le nain en accolant le gros barbus qui lui faisait face. Voilà que nous sommes au complet ! Mais que n’êtes-vous pas venus nous rejoindre à l’intérieur ?
_ Disons que nous préférions rester discrets, répondit simplement son ami.
& la petite communauté reprit son chemin par de petites ruelles sombres, vers les murailles du sud.
*******
Au coin d’une impasse, à l’écart des lumières, un homme surveillait les allées & venues des passants, rares à cette heure de la nuit.
Voir tout un groupe déambuler silencieusement devant lui ne pouvait donc qu’attirer son attention.
Il les observait attentivement.
Regroupés au fond de l’impasse, l’un d’eux parlait tout doucement en faisant de grands gestes, indiquant régulièrement un endroit dans le mur.
Après quelques minutes, un léger raclement se fit entendre.
Il fallu quelques temps à l’homme pour comprendre ce qui se passait : Toute la troupe disparaissait petit à petit à travers la muraille.
Quand il s’approcha furtivement de l’endroit, ils n’étaient plus que deux.
A sa vue, le petit nain sursauta, la gorge nouée.
_ Où est-ce que vous fuyez ? s’enquit l’homme sortit du noir.
_ Ne me faites pas de mal ? implora le petit homme.
_ Je ne vous veux pas de mal, je vous demande où vous allez ?
_ Vous le connaissez ? demanda le grand brun musclé à son nouveau patron.
_ Mais débarrasse-moi de lui, imbécile ! Au lieu de discuter ! s’emporta le nain.
Le garde du corps eut tout juste le temps de dégainer à nouveau son épée, qu’un sifflement transperça l’obscurité & qu’un couteau se planta dans sa main.
Figé, le visage niais empreint de surprise, il lâcha son arme avant de constater, ahuri, l’état de sa main.
La douleur n'avait pas de son.
Une seconde ombre, plus petite & menue, sortie à son tour de l’ombre, récupéra le poignard planté dans la main de sa victime, le nettoya & le replaça à sa ceinture, sous le regard médusé de l'homme brun, comme si de rien n’était.
_ Pitié ! Nous ne sommes que des voyageurs qui partons pour le sud afin de nous installer là-bas.
_ Hé bien voilà, fit l’homme en dévoilant son visage plus très jeune. On va vous escorter.
A ses côtés, une jeune fille révéla également son visage.
Le nabot objecta alors qu’il avait déjà une escorte & qu’il n’avait que faire d’une gamine.
Ce à quoi l’homme qui le tenait maintenant par le col lui expliqua que la gamine en question aurait pu éliminer son colosse d’un simple lancer de poignard & qu’au final il ne lui laissait pas vraiment le choix.
Après un léger temps d’hésitation, écourté par une pointe fine stratégiquement bien placée, le nain accepta.
Après tout, deux nouvelles recrues pour assurer sa protection, sans même avoir à négocier de rétribution, il y gagnait au change.
Une main serrée & une tape dans le dos plus tard, il s’engouffra dans le passage secret, à la suite des autres.
*******
A l’autre bout de la ville, un son de corne retentit dans la nuit, faisant vibrer d’effroi tous les murs de la cité.
Les craintes de l'aubergiste étaient donc bien fondées. Toute la journée, des rumeurs d'une nouvelle attaque imminente des barbus avaient circulé.
La corne acheva la rumeur.
Un épais voile étrange enveloppa dans l’obscurité totale la citadelle blessée.
L’horreur allait reprendre. |